1,3980 % c’est le dernier taux connu des Obligations Assimilables du Trésor (OAT) françaises à 10 ans. Il y a quasiment un an jour pour jour, en mars 2021, celui-ci était encore en territoire négatif à - 0,0520 %. Le point bas historique de L’OAT à 10 ans était quant à lui touché en août 2019 à - 0,4100 %. Comment expliquer cette hausse de 30% sur une période de 1 an ? Quelles conséquences et évolution peut-on attendre de cette dynamique haussière ?
1. Une dynamique à deux vitesses
Sur une période d’observation de 1 an, l’évolution est impressionnante comme le montre le graphique ci-dessous de l’obligation d’Etat à 10 ans en France.
Source: tradingeconomics.com
Sur un historique de plus de 30 ans, cette évolution est bien moins impressionnante. En effet, ce niveau avait déjà été observé en août 2014. A cette époque le taux d’inflation était de 0.3% et le taux de croissance annuel était de 1.2%. Le spread avec le Bund à 10 ans était deux fois inférieur avec 34 pb contre 50 pb aujourd’hui ce qui nous interroge sur une distorsion naissante mais possiblement durable que feraient les investisseurs entre ces deux puissances économiques.
Source: tradingeconomics.com
Mais où nous situons nous par rapport à ce cycle long ? Le graphique ci-dessous nous montre que les niveaux actuels se situent à mi-chemin entre les moyennes mobiles à 50 périodes (rouge) et 200 périodes (bleu). La moyenne mobile à 200 périodes semble jouer son rôle de résistance. Ce niveau clé est également renforcé par le niveau symbolique de 2%. Ce sera donc une résistance importante à observer à l’avenir pour les investisseurs.
Source: tradingview.com
2. Comment expliquer la dynamique haussière actuelle ?
Sur le marché des taux comme sur beaucoup d'autres, le premier mouvement est impulsé par les Etats-Unis puis par le Bund et l’OAT dont l’écart ou spread est généralement assez stable comme le démontre le graphique ci-dessous retraçant l’évolution conjointe du Bund (bleu) et de l’OAT (vert) à 10 ans sur les 10 dernières années. Aujourd’hui, le spread se retrouve dans la situation de 2015 et de 2017-2018. Ceci témoigne de l'arbitrage des investisseurs en faveur des taux Allemands.
Source: tradingeconomics.com
Pour comprendre la remontée des taux de long terme, il est essentiel de s’intéresser au fait générateur de ce phénomène : les taux longs américains. De manière théorique, la formation des taux d’intérêt sur le marché obligataire américain ou international est le résultat de la combinaison de quatre éléments :
La maturité de l’obligation
Les anticipations d’inflation
La prime de risque
L’équilibre de marché
Depuis le début de l’année, le T-note à 10 ans est passé de 1.5118 à 2.8707 soit une augmentation de 135 pb en 4 mois.
Source: tradingeconomics.com
Assurément cette augmentation prend son origine dans la réévaluation faite par les investisseurs quant aux anticipations d’inflation, aux primes de risque associées à la conjoncture de marché ainsi qu’au virage de politique monétaire pris dernièrement par la Fed. Ces facteurs n’étant pas de nature à évoluer à court terme ou moyen terme la dynamique actuelle semble bien installée.
Plus largement, la pentification de la courbe des taux que l’on observe aujourd’hui correspond à une situation dans laquelle les investisseurs exigent des primes de risque plus élevées pour prêter sur des échéances lointaines, et ce, pour compenser un risque inflationniste ou de dérapage budgétaire futur qu’ils jugent supérieur au niveau actuel.
Source : aft.gouv.fr
3. Le taux réel : juge de paix
A long terme, la remontée des taux aura des effets directs sur l’ensemble des marchés en modifiant le comportement même des nouveaux investisseurs et en entraînant des arbitrages plus ou moins progressifs chez les investisseurs déjà positionnés.
Sur le marché de taux, il convient de distinguer les nouveaux investisseurs des anciens détenteurs d’obligation. Les premiers bénéficieront d’une rémunération plus attractive des produits de taux et entretiendront la dynamique positive de ce marché par l’apport de nouveaux capitaux. Pour les seconds, la valeur de leurs obligations se dépréciera dans un premier temps jusqu’à ce qu’un nouvel équilibre soit trouvé. Sur le marché des obligations corporate, l’effet sera négatif puisque les investisseurs exigeront des primes de risque supérieures pour maintenir les spreads existants avec le « sans risque ». Cet ajustement représentera un coût de financement supplémentaire pour les entreprises et impactera leur niveau d'investissement.
Sur le marché actions, les facteurs qui justifiaient autrefois de leur bonne tenue vont jouer en sens inverse. Au même titre que les obligations corporate, les investisseurs sécuriserons leurs investissements en faveur des produits de taux redevenus plus attractifs. Les marchés actions seront donc pénalisés par cet effet de vase communicant. Le graphique ci-dessous illustre l’évolution réciproque du T-note à 30 ans (vert) et du S&P 500 (bleu) sur 1 an glissant. La symétrie apparaît presque parfaite et démontre l’évolution inversement « proportionnelle » de ces actifs.
Source: tradingeconomics.com
Les grands équilibres macro-économiques et financiers dépendent des taux d’intérêt réels or ceux-ci vont probablement rester négatifs encore longtemps tant l’inflation semble vivace. Cela représente un facteur de soutien important pour les marchés. En revanche, la Fed mène désormais une stratégie de tapering et de remontée des taux plutôt agressive en comparaison de ses homologues internationaux. Ce nouveau cap aura des effets sur toutes les primes de risques au niveau mondial et plus particulièrement pour les pays « fragiles » de la zone euro. L’augmentation des spreads renforcée par la diminution à venir des liquidités sur le marché semble désormais inévitable. Cela représente un facteur récessif pour l’économie mondiale. En conclusion, le financement des Etats, Ménages, Entreprises, variable indissociable de l'investissement et de la croissance, sera de manière assez évidente impacté par l'augmentation du coût de financement à venir mais devrait rester soutenu par des taux d’intérêt réels négatifs qui semblent persistants.
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