Les primes manifestement exagérées ne cessent, en l'absence de toute définition légale, de faire l'objet de vifs débats depuis l'émergence du Code des assurances en 1976. Dès lors, les enseignements de la jurisprudence deviennent incontournables pour s'affranchir des risques de requalification desdites primes. Quels critères sont pris en compte pour juger du caractère exagéré des primes ? Quelles peuvent être les conséquences ? Patrimoine&Bourse fait le point.
Comme nous avons pu le rappeler dans notre article « Clause bénéficiaire : les 4 règles d'or à respecter », le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie peut désigner, librement, le bénéficiaire de son choix. Toutefois, les héritiers réservataires de l'assuré, qui s'estiment lésés par cette attribution, peuvent la remettre en cause en saisissant la justice au motif de prime manifestement exagérée.
Lorsque la prime est jugée exagérée, la réintégration des primes permet alors d'éviter une utilisation abusive du contrat d'assurance-vie dans le but de contourner les règles de dévolution successorale.
Définition du caractère exagéré d'une prime
Selon le Code des assurances : « Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés. » (C. assur., art. L. 132-13).
En d'autres termes, les primes d'un contrat d'assurance-vie ne rentrent pas dans le champs d'application des règles de dévolution successorale du rapport et de la réduction à moins qu'elles aient été manifestement exagérées.
Comment définir le caractère exagéré d'une prime ?
Le législateur n'en donnant pas une définition précise, cette question relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. La compilation des dernières décisions de la Cour de cassation montre que le caractère exagéré des primes s'apprécie :
au regard de la situation patrimoniale du souscripteur : revenus et patrimoine total au moment du versement des primes (Cass. 2e civ., 24 oct. 2013, n° 12-29.372).
Le maintien d'un solde substantiellement créditeur sur les comptes bancaires du souscripteur, au moment du versement des primes, argumente en faveur d'un montant de prime supérieur au tiers du patrimoine (Cass. 1re civ., 1 juill. 1997, n° 95-15.674). Les juges ont également estimé que les primes d'un contrat d'assurance-vie qui ne représentent qu'un quart du patrimoine mobilier du souscripteur n'étaient pas exagérées eu égard à ses facultés (Cass. ch. mixte, 23 nov. 2004, n° 01-13.592).
au regard de la situation personnelle du souscripteur : âge, date du versement et utilité de la souscription.
Les juges évaluent l'utilité du contrat compte tenu de l'âge du souscripteur et de sa situation familiale. La souscription à un âge avancé peut être perçue comme dépourvue d'utilité compte tenu de l'espérance de vie de l'assuré. A contrario, les primes versées sur un contrat d'assurance-vie qui présentent une utilité pour le souscripteur ne peuvent être remises en question par les héritiers même si leur montant est très élevé et porte atteinte à leur réserve héréditaire (Cass. 1re civ., 6 juill. 2016, n° 15-21.767).
Toutefois, la remise en cause du caractère « utile » d'un contrat d'assurance-vie que pourrait faire la Cour de cassation semble fragile. En effet, l'assurance-vie représente, de par ses qualités de disponibilité du capital et de diversification, l'enveloppe fiscale idoine de la gestion du patrimoine.
Néanmoins, la doctrine recommande, particulièrement aux assurés d'un âge avancé, de ne pas détenir plus de 30 à 40 % de leur patrimoine en assurance-vie aux bénéfices de tiers non réservataires.
Conséquences du caractère exagéré d'une prime
Lorsque le caractère exagéré de la prime est reconnu. Les règles de dévolution successorale du rapport et de la réduction s'appliquent :
Le rapport consiste à tenir compte, de manière fictive, du montant des primes excessives dans l'actif total de la succession du défunt. Le montant rapporté est alors considéré comme une avance sur héritage. Le partage final tiendra donc compte de cette avance.
Le rapport n'est dû que si le bénéficiaire du contrat est un héritier légal (C. civ., art. 843).
La réduction consiste à ramener, à l'intérieur des limites de la réserve héréditaire, le montant des primes excessives.
La réduction s'applique quel que soit le bénéficiaire de l'assurance-vie, tiers ou héritier, dès lors que les primes ont été jugées excessives (C. civ., art. 920).
Que faut-il rapporter à la succession ?
La question reste entière puisque le législateur n'a, à ce jour, pas précisé les sommes à soumettre au rapport ou à la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers.
Toutefois, la doctrine considère que seule la fraction excessive des primes devra être comprise dans la succession. Même si la majorité des décisions de jurisprudence vont en ce sens, d'autres se prononcent en faveur de la réintégration de l'intégralité de la prime versée par le souscripteur (Cass. 2e civ., 8 mars 2006, n° 04-19.177).
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